(re)Structurer son site, rendre l’information accessible : l’atelier « Tri par Cartes »

, par Claps

En 2016, la bibliothèque de Sciences Po a optimisé l’architecture de l’information de son site web en faisant directement participer les usagers, grâce à la technique du tri par cartes.


L’architecture de l’information est l’un des aspects majeurs de la conception d’un site web. Pour illustrer cette affirmation, nous renvoyons le lecteur au diagramme de Jesse James Garret sur les éléments de l’expérience utilisateur  [1]. Selon Garret, la conception de la « structure informationnelle » d’un site est une étape intermédiaire se situant entre les spécifications du projet et le design de l’interface.

Lorsque, en 2015, la bibliothèque de Sciences Po lança un projet de refonte de la page d’accueil et du rubriquage de son site web, nous pouvions appuyer notre réflexion sur des indicateurs web analytiques et des éléments fournis par les enquêtes auprès de nos publics. Il nous manquait, en revanche, une méthode pour réviser et rendre objective l’organisation des pages du site, c’est-à-dire la rendre à la fois :

  • adaptée aux attentes de nos usagers ;
  • indépendante des logiques organisationnelles internes et de catégorisations pensées du point de vue des bibliothécaires ;
  • valorisante pour nos services et nos ressources.

La technique du tri par cartes, abondamment décrite dans des ouvrages [2] et des sites spécialisés en ergonomie du Web, a fait ses preuves depuis de nombreuses années. Cette méthode contribue à optimiser l’architecture de l’information d’un site en faisant directement participer les usagers. Cet article présente la technique et les apports du tri par cartes en les illustrant par le retour d’expérience de la bibliothèque de Sciences Po.

Principe

Le déroulement d’un tri par cartes est simple. On présente au participant des cartes en papier sur chacune desquelles on a préalablement inscrit un intitulé de contenu, accompagné si nécessaire d’une courte description (exemple : Horaires d’ouverture). Chaque participant classe les cartes suivant sa propre logique puis nomme les regroupements ainsi formés.

Le tri par cartes est une mise en situation individuelle. Aussi, une série de tris sera menée autant de fois qu’il y a de participants. Pour obtenir des résultats généralisables, il faut être attentif, pour une série donnée, à choisir des contenus que l’on pense adaptés à des utilisateurs présentant un profil homogène. Si l’on souhaite traiter l’ensemble des contenus d’un site et la diversité des publics, il faut par conséquent organiser des séries différentes avec des publics de profils différents.

Remettre à plat l’existant

L’équipe projet Web commence par inventorier les contenus et les services en précisant les publics concernés.

Fixer l’objectif et sélectionner les contenus

À partir de cet inventaire, l’objectif était de ranger les contenus dans des rubriques de premier niveau (navigation principale) en ciblant en priorité les attentes des étudiants du campus parisien. Dans cette optique, nous avons sélectionné une vingtaine de contenus en appliquant quelques principes complémentaires :

  • ne pas retenir de contenus reliés par des relations hiérarchiques évidentes (type terme générique, terme spécifique). Ainsi, ne pas proposer à la fois une carte « revues et journaux » et un sujet « collections » ;
  • éviter d’utiliser des intitulés de rubriques, tels que « services » ou « pratique », qui induisent des regroupements.

Choisir le type de tri

Plusieurs types de tris existent : ouverts ou fermés, papier ou en ligne, modérés en présentiel ou réalisés à distance. À la différence des tris ouverts qui laissent les participants libres de créer leurs propres catégories, les tris fermés imposent de ranger les contenus dans des ensembles prédéterminés. Le tri papier offre une certaine souplesse, le participant pouvant être invité à annoter, ajouter, supprimer, dupliquer des cartes. Avec les outils de tri en ligne, il n’est pas possible de modifier les contenus. Ces solutions automatisent, en revanche, l’agrégation des résultats et proposent de puissants outils d’analyse.

Extrait simplifié d’un inventaire de contenus pour le site de Sciences Po

Tableau 1

La présence d’un animateur auprès du participant assure la bonne compréhension des consignes et facilite le recueil d’informations qualitatives (manipulations verbalisées, commentaires libres). L’animateur répond également aux difficultés de compréhension tout en veillant à ne pas influencer les logiques de classement.

Sélectionner les utilisateurs

Notre objectif était de recruter au moins 15 étudiants [3]], de niveau homogène, afin d’obtenir des résultats exploitables. Pour inciter ce public à participer, nous lui avons proposé des bons d’achats de 15 euros à la librairie de Sciences Po.

Itérer : la clé du succès

Nous avons rodé la méthode par une première série de tris ouverts papier avec 6 étudiants francophones de deuxième année. Puis organisé un tri ouvert en ligne en présentiel, mobilisant 16 étudiants de masters. Les itérations de tests permettent d’augmenter la qualité des résultats collectés, car il est possible entre les séries d’ajuster les contenus et leurs intitulés.

Analyser les résultats

La plupart des outils de tris en ligne disponibles sur le Web proposent des analyses telles que celles décrites ci-après.

Identifier les contenus qui vont de pair

La matrice de similarité (illustration 2) montre les fréquences d’association entre contenus. Elle permet de déterminer les informations qu’il faut ranger au même endroit, révèle les contenus qu’il faut relier par des renvois, met en évidence les informations transverses.

Regroupement de catégories avec deux exemples de contenus qu’il est pertinent d’y ranger

Aligner les catégories en rubriques

Lors des deux séries de tris ouverts, chaque participant a créé en moyenne 6 catégories de contenus. À l’issue des tests, nous en avons obtenu une centaine au total. Nous avons analysé les contenus de chacune des catégories créées par les étudiants, ce qui nous a permis de regrouper en rubriques celles qui réunissaient des contenus comparables. Pour les nommer de la manière la plus représentative possible, nous avons considéré les intitulés que les étudiants avaient choisis. Enfin, dans chacune des rubriques ainsi créées, nous n’avons retenu que les cartes que les étudiants y avaient fréquemment rangées.

Bénéfices

Des deux séries de tests de tri par cartes, nous avons observé que la plupart des étudiants distinguaient deux usages de la bibliothèque : la bibliothèque en tant qu’espace de travail et la bibliothèque en tant que service de ressources documentaires. Ce résultat faisant écho à ceux de nos enquêtes 
 [4], notre conviction de le transposer en rubriquage s’en est trouvée renforcée.

La technique du tri par cartes nous a permis également, via les commentaires des participants :

  • d’améliorer la façon d’étiqueter nos contenus ; ainsi, nous avions pensé au départ remplacer l’intitulé « formation » par des formules que nous voulions plus « vendeuses » telles que « Optimisez votre utilisation de la bibliothèque » ou « Gagnez du temps ». Lors des tests, ces termes de substitution se sont avérés confus et nous y avons renoncé ;
  • d’identifier des services méconnus (tels que les guides thématiques) pour lesquels il faut développer un travail de valorisation ;
  • de mieux connaître les intérêts et attentes des étudiants pour préparer l’étape de conception de notre nouvelle page d’accueil.

Limites

Le tri par cartes se base sur une représentation mentale des utilisateurs, non sur une mise en situation réelle de recherche d’information. Au cours d’un focus group, organisé pour présenter la maquette du site à des étudiants qui n’avaient pas participé aux tris par cartes, nous avons observé que la rubrique « Travailler à la bibliothèque » pouvait être interprétée comme une section de recrutement de vacataires et non un menu regroupant les services facilitant l’étude à bibliothèque. Le design du système de navigation doit donc s’appuyer sur des dispositifs d’évaluation, comme les tests d’utilisabilité, sans oublier les pratiques et standards du Web.

Notes

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/04/2017
https://doi.org/10.3917/i2d.171.0062

Notes

[1J. J. Garrett. Elements of user experience. User-centered design for the web and beyond. 2d edition. Pearson Education, 2010 http://www.jjg.net/elements/pdf/elements.pdf

[2Citons l’un des premiers, qui reste une référence : L. Rosenfeld & P. Morville. Information architecture for the world wide web. O’Reilly Media, 2002

[3J. Nielsen. « Card sorting : How many users to test ». Nielsen Norman Group, 19 juillet 2004, https://www.nngroup.com/articles/card-sorting-how-many-users-to-test

[4C. Touitou. « Évaluer la consultation sur place et l’usage des espaces : le cas de la bibliothèque de Sciences Po Paris ». In : Cécile Touitou (dir.). Évaluer la bibliothèque par des mesures d’impacts. Presses de l’Enssib, 2016